La littérature permet à Lionel Duroy de transcender les événements de l’Histoire, ici celle de la guerre de Yougoslavie sur laquelle il porte le regard d’un homme qui ne juge pas. C’est cela la fonction du romancier.
On se souvient qu’il apporta la même empathie à aborder le mystère de la mystification mise en place par Misha Fonseca, à explorer son enfance ("Le chagrin") et à dire sa "Colère" à l’égard d’un destin familial qui le frappe à travers son propre fils.
Edmond Morrel
Les interviews d’ Edmond Morrel et les "Marges" de Jacques De Decker sur espace-livres.be sont dorénavant relayées dans "Livres -Echanges" sur le site de "Le Vif-L’Express.be " :
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Reclus dans la petite république ethniquement « pure » pour laquelle ils ont combattu leurs voisins croates et bosniaques, les Serbes de Bosnie sont pourtant aujourd’hui les gens les plus désespérés qui soient. Un voyage aux confins de l’Europe et une méditation sur la guerre et l’inaptitude au bonheur.
Pourquoi la fille du général Mladic, commandant en chef des forces serbes durant le siège de Sarajevo, accusé de génocide, s’est-elle tirée une balle dans la tête avec le revolver préféré de son père ? C’est pour tenter de répondre à cette question que Marc, écrivain, passionné depuis toujours par le destin des enfants de criminels de guerre, s’envole pour Belgrade en novembre 2010 alors que rien ne va plus dans sa propre vie. À Belgrade, il est amené par d’étonnants hasards, ou malentendus, à rencontrer quelques-uns des plus proches lieutenants du général Mladic, des hommes pour la plupart recherchés pour crimes de guerre. Ce sont eux qui l’encouragent à partir pour la petite République serbe de Bosnie ou, disent-ils, il rencontrera le véritable peuple serbe, celui qui a gagné la guerre et continue de se battre aujourd’hui contre les Musulmans.
Arrivéà Pale, la capitale historique des Serbes de Bosnie, un ancien village de montagne devenu une ville de trente mille habitants prise sous un mètre de neige, Marc découvre une population emmurée dans le désespoir, abandonnée de tous, mais cependant persuadée d’avoir mené une guerre juste. Les ex-officiers ne nient pas avoir commis les crimes les plus épouvantables contre leurs anciens voisins musulmans et croates, mais ils estiment avoir agi en état de légitime défense et avoir été trahis par leurs anciens alliés français. Pour se justifier, ils font à Marc le récit de leur guerre, ne cachant rien des atrocités qu’ils ont commises, ou qu’ils ont subies. Marc ne les juge pas – des jours et des nuits durant il les écoute. Ce sont pour la plupart des hommes attachants, exceptionnels parfois, qui luttent aujourd’hui contre leur propre conscience, contre leurs cauchemars aussi, enfermés dans une prison dont ils sont les geôliers. L’écrivain éprouve à leur endroit une curieuse empathie, comme si cet enfer dans lequel ils se sont enfermés faisait écho à son propre désarroi.
« Nous croyons qu’à rompre avec la source du mal nous allons pouvoir inventer notre propre vie et apporter le bonheur à nos enfants », écrit-il, « alors que nous sommes faits de ce mal et qu’ainsi il continue de nous habiter et de nous ronger quoi que nous décidions, et quel que soit l’endroit du monde ou nous allions nous réfugier. »
Ce que vivent ces hommes est finalement pour Marc l’écho le plus exacerbé, le plus terrifiant, de ce que nous sommes nombreux à vivre chacun silencieusement au fil de notre propre destin.