Un roman, s’inscrit hors du temps lorsqu’il devient un classique. C’est le cas des "Bons Offices". Découvrez le si vous ne l’avez jamais lu. Re-découvrez le si vous étiez parmi ses lecteurs en 1974 : vous ne le reconnaîtrez pas. On le dirait écrit aujourd’hui.
Dans cet entretien enregistré chez Pierre Mertens et scandé par le passage des trains, le romancier évoque l’écriture de ce livre qui fait date dans l’histoire des lettres.
Edmond Morrel
Note : Sur ESPACE LIVRES, vous pouvez écouter une rencontre avec Pierre Mertens à propos de son premier roman "l’Inde ou l’Amérique", le 19 février 2010,
ainsi que l’enregistrement d’une rencontre avec Jacques de Decker, rencontre enregistrée à la bibliothèque Witiockiana en avril 2010.
Pour en savoir plus sur Pierre Mertens :
Sa biographie sur Wikipedia :
« Né de père résistant et de mère juive, il a vécu la 2e guerre mondiale comme "enfant caché", révélation qu’il faite lors de son 70e anniversaire, le 9 octobre 2009, dans un entretien au journal "Le Soir"1.
À 11 ans, Pierre Mertens écrit déjà de petites pièces pour les fêtes scolaires. Avec le problème algérien, il s’éveille à la « conscience politique ». Tandis qu’il étudie à l’Athénée d’Etterbeek, il entreprend une autobiographie en plusieurs tomes. Il se forme à l’Université libre de Bruxelles pour y étudier le droit.
Influencé par Franz Kafka, Mertens commence à publier romans et nouvelles en 1969 et reçoit le Prix Médicis en 1987 pour Les Éblouissements. Il poursuit néanmoins ses activités de juriste, attentif aux combats pour les Droits de l’homme. En 1989, il entre à l’Académie royale de langue et littérature de Belgique. Il est également nommé Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres de la République française.
Reconnu et engagé, Mertens a réfléchi sur la fonction sociale de l’écrivain. Pour lui, vie privée, fiction et Histoire sont indissociables. C’est ainsi qu’il accorde une place centrale à la mémoire : le romancier trouve la matière de son œuvre dans un passé personnel et historique. Lui même est particulièrement marqué par les activités de ses parents (un père journaliste et mélomane, une mère biologiste et pianiste), par l’occupation allemande, l’exécution des Rosenberg ou encore la tragédie des mineurs de Marcinelle en 1956. Plus tard, l’observateur du droit international dénoncera le génocide au Biafra, la torture en Irlande et les prisons de Pinochet.
Dans ses romans, on retrouve, d’une part, l’influence de la musique par les leitmotivs qui les traversent (la figure du tigre, par exemple). Il est aussi l’auteur d’un livret d’opéra, La passion de Gilles (1982). D’autre part, ses voyages et sa formation universitaire lui permettent une ouverture à un univers plus large que son pays. Dans Les Bons offices (1974) et Terre d’asile (1978), par exemple, l’histoire belge est présentée sous le regard d’un étranger et prend un sens nouveau. Mertens voit d’ailleurs dans son pays une synthèse fascinante des problèmes européens.
Sur fond d’Histoire, les personnages de Mertens se reconstruisent après une cassure, une rupture, une tragédie. L’écriture fait entendre ce déchirement par la structure et le style : monologues délirants avec ellipses temporelles pour dire les contradictions de l’individu dans le monde.
Le message de Mertens est cependant positif : le doute est fécond, il ne doit jamais être source de résignation et il faut préférer l’homme de terrain aux cyniques. Quant à la littérature, son rôle est primordial dans la lutte contre l’obscurantisme :
« Je m’en remets à la culture pour nous sauver. Le droit à la littérature est un droit de l’homme ». P. Mertens
Mertens déclencha la controverse et le battage médiatique dans son pays avec son livre Une paix royale, publié en 1995. Le livre raconte une histoire romancée de la famille royale de Belgique, mélangeant fiction et réalité. La princesse Lilian et le prince Alexandre de Belgique, que l’auteur avait rencontrés au domaine royal d’Argenteuil, lui intentèrent un procès très médiatisé pour imposture. Mertens fut jugé et contraint de retirer quelques pages des éditions suivantes de son livre. »
Bibliographie :
L’Inde ou l’Amérique, Seuil, 1969 (Prix Victor Rossel)
Le Niveau de la mer, L’Âge d’Homme, 1970
La Fête des anciens, Seuil, 1971
L’Imprescriptibilité des crimes de guerre et contre l’humanité, Édition de l’Université de Bruxelles, 1974
Les Bons offices, Seuil, 1974
Nécrologies, Jacques Antoine, 1977
Terre d’asile, Grasset, 1978
Ombres au tableau, Fayard, 1982 (Prix du roman de la CF)
La Passion de Gilles, Actes Sud, 1982
Terreurs, Talus d’approche, 1983
Perdre, Fayard, 1984
Berlin, Autrement, 1986
Les Éblouissements, Seuil, 1987 (Prix Médicis)
Uwe Johnson, le scripteur de murs, Actes Sud, 1989
L’Agent double, Complexe, 1989
Lettres clandestines, Seuil, 1990
Les Chutes centrales, Verdier, 1990
Les Phoques de San Francisco, Seuil, 1991
Flammes, théâtre, Actes Sud-Papiers, 1993
Une paix royale, Seuil, 1995
Collision et autres nouvelles, Actes Sud/Labor, 1995
Une seconde patrie, Arléa, 1997
L’oreille absolue, L’Ambedui, 1999
Tout est feu, Alice, 1999
Rilke ou l’ange déchiré, La Renaissance du Livre, 2001
Perasma, Seuil, 2001
Ecrire après Auschwitz ?, La Renaissance du Livre, 2003
La violence et l’amnésie, Labor, 2004
Les chutes centrales, Grand Miroir, 2007
Le don d’avoir été vivant, Éditions Écriture, 2009
Sur le site de l’Académie Royale de langue et littérature française de Belgique
« Pierre Mertens naît vraiment à la littérature lorsqu’il découvre, à l’âge de quinze ans, le journal de Kafka. Il dira plus tard : « Cette page tournée, une page de ma vie s’était tournée aussi : c’est la page qui m’a fait écrivain. L’homme qui avait pu écrire cela m’apportait la seule consolation écrire. C’était à la fois la maladie et le remède… On pouvait en mourir, donc en vivre. » »
« (après les 3 premiers), les romans qui suivent ne quitteront pas les thématiques individuelles, mais y associeront de plus en plus l’espace de l’Histoire : l’année de publication des Bons Offices (qui narre les rendez-vous ratés de Paul Sanchotte avec les grands événements de son temps et le dérisoire de ses médiations d’observateur international) sera aussi celle de L’imprescriptibilité des crimes de guerre et contre l’humanité, un essai juridique. »
« Les oeuvres critiques comme L’Agent double, les recueils de nouvelles, le livret d’opéra La Passion de Gilles, ainsi que les pièces Collision et Flammes rejoignent cette coulée d’écriture qui dessine l’épaisseur d’un imaginaire personnel hanté par l’éclatement et la dispersion, par la violence fondamentale du monde, les déchirements et les maladies du corps social et de l’histoire. »