A l’occasion de l’exposition d’oeuvres récentes, réunies par Jean Marchetti aux cimaises de son "salon d’Art" , nous avons rencontré Pierre Alechinsky et évoqué avec lui ses travaux récents, mais aussi la littérature, le rapport à l’âge, le "Salon d’Art" où tous les cinq ans il retrouve le public bruxellois.
Edmond Morrel
L’exposition se tient au Salon d’Art jusqu’au 24 décembre 2012
Présentation de l’exposition sur le site du Salon d’Art :
" L’âge aidant, et alors qu’il semblait avoir tout peint – volcans éructant ou festives coiffes de plumes des Gilles de Binche, Alice qui grandit, le monstre de Central Park et tant de serpents Cobra, le brouillard d’eau des Chutes du Niagara et les rêves de l’encre, le point d’interrogation du Pourquoi pas ? et Le Passé inaperçu... – le peintre s’aperçut qu’il n’avait toujours parlé que de lui-même. Il était devenu alors sans le vouloir le sujet de ses tableaux. Le Combat avec l’âge, l’un des plus récents tableaux d’Alechinsky, dit certes ce qu’il lui reste à peindre, mais nul besoin d’être lecteur de Pérec pour remarquer l’étrange disparition qui fait de cette histoire embrouillée dont Delacroix fit un chefd’oeuvre, un corps à corps avec la peinture. C’est que faute de temps – ou du moins faisant comme – le peintre prend désormais tous les risques : ainsi le coloriste hors-pair choisit-il pour un ensemble de toiles monumentales de faire le deuil de la couleur en s’en tenant au noir et blanc, toutefois, ici, agrémentés d’une pelletée de Terres d’ombres. Nul ressassement sinistre pourtant dans cette éclosion, ces envols, ces bourgeonnements nés d’une main qui parcourt librement la toile et d’un savant travail de transparences. S’il possède la liberté de geste des grands inventeurs de l’automatisme, Alechinsky sait en effet que, loin de la spontanéité prônée par Cobra, la peinture est aussi histoire de reprises – parfois d’additions, le plus souvent d’effacements – en tous cas de relectures successives. Et dans ce domaine, le peintre est toujours à la joie. Ce n’est pas pour rien qu’il a depuis les années 1970 recherché actes notariés, vieilles lettres à en-tête commerciales dessinées, courriers anonymes à la belle écriture pour les déchiffrer et ajouter à même leurs graphies un commentaire dessiné. Aujourd’hui encore, il peut, prestidigitateur d’un autre genre, non pas tirer un lapin d’un chapeau, mais trouver un chapeau dans la pompeuse façade gravée sur la facture d’un magasin de Bergerac ou couvrir d’un lecteur « à l’étude » un vieil acte notarié. Mais c’est en se relisant lui-même, en intervenant, au lieu de les détruire, sur les larges feuilles du semainier mural qu’il appose chaque semaine, après en avoir tracé les colonnes, au mur de son atelier que le peintre donne tout son sens à l’urgence de ce Combat avec l’âge. En occultant, mais aussi en rendant définitives par le dessin qu’il superpose, ces traces du quotidien où les rendez-vous de dentistes cohabitent avec les visites de marchands, d’amis, de critiques..., où les noms fameux jouxtent les noms familiers, où la vie semble toute entière inscrite, Pierre Alechinsky révèle le vrai sens de ces Emplois du temps : pour lui la peinture est désormais, jusque dans le quotidien, seule manière d’employer son temps."
Daniel Abadie